La bataille des apiculteurs français contre les contrebandiers du miel

La bataille des apiculteurs français contre les contrebandiers du miel

Alors que la demande ne cesse de progresser, la production de miel français recule. Pour faire face, les apiculteurs importent de plus en plus de produits d’Europe et de Chine dont l’origine et la qualité restent très floues.

Adultération par rajout de sucre, fraude sur l’origine espagnole et non vosgienne, emploi abusif de la mention « Provence » indication géographique protégée, usurpation de la qualité « bio », intraçabilité organisée de plus de mille kilos de miel hongrois présenté comme d’origine locale française… La lecture de l’ enquête sur la qualité du miel vendu en France, publiée début 2015 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRF), a de quoi alimenter la grogne des apiculteurs professionnels français.

Mais la France n’est pas la seule victime de la fraude, le phénomène est mondial, selon une étude présentée en mars dernier par Norberto Garcia, président de l’Organisation internationale des exportateurs de miel. En 2015, des tests de la Commission européenne sur plus de 2000 échantillons de miel avaient révélé que 32 % d’entre eux n’étaient pas conformes ou soupçonnés de ne pas l’être.

Un marché malsain

« Le marché du miel est profondément malsain », s’indigne Jöel Schiro, président du Syndicat des Producteurs de Miel de France (SPMF). « Certains apiculteurs sont des orpailleurs ou des ferrailleurs dans le meilleur des cas et des contrebandiers dans le pire des cas », renchérit Philippe Lecompte, apiculteur dans la Marne et président du « Reseau Biodiversité pour les Abeilles ». Petit fils d’apiculteur à Gan dans les Pyrénées-Atlantiques et à la tête du leader européen de la vente de miel « Famille Michaud Apiculteurs », Vincent Michaud juge que ce sont « les vendeurs de miel sur le bord des routes ou sur les marchés qui échappent à tout contrôle » qui posent problème.

Joël Schiro pointe du doigt ces apiculteurs qui se lancent dans la profession sans aucune formation et qui au bout de quelques années, en raison de la disparition des abeilles, n’ont plus de ruches. Pour compenser, ils achètent du miel d’importation à bas prix. « L’un des problèmes français est qu’il n’existe pas de statut défini d’apiculteur. En caricaturant, les 65 millions de Français pourraient se déclarer adhérent à un syndicat d’apiculteur même s’ils ne possèdent aucune ruche. Cette fausse représentativité nuit à l’apiculture professionnelle de longue date ».

Il est vrai que la structure du marché est éclatée en de nombreuses exploitations. Selon le dernier recensement du ministère de l’Agriculture paru en mai dernier, la proportion d’apiculteurs disposant de moins de 50 ruches totalisait 46.000 personnes, soit … 92% des apiculteurs français. « Cette catégorie regroupe principalement des apiculteurs de loisir » et « des agriculteurs disposant d’un atelier d’apiculture en tant que complément à une autre activité ». A l’opposé du spectre, le ministère recense seulement 600 propriétaires de plus de 400 ruches. Toujours selon le ministère, pour la deuxième année consécutive, le nombre d’apiculteurs en France a augmenté en 2016 pour atteindre le nombre de près de 50.000. Ce qui n’empêche pas une chute de production depuis une vingtaine d’années.

Les vraies raisons du déclin

« L’année dernière, les apiculteurs français ont produit moins de 10 000 tonnes de miel. Dans les années 1990, la production française atteignait encore 30.000 à 32.000 tonnes », relève Henri Clément secrétaire général de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF). Plusieurs facteurs expliquent ce déclin. A commencer par la mortalité inquiétante des abeilles. Selon les professionnels, le taux de mortalité s’est inscrit aux environ de 30 % cet hiver. L’usage des pesticides et autres insecticides en est une des causes. Ils tuent ou affectent le système nerveux des « Apis mellifera » nos petites abeilles noires incapables de retrouver leurs ruches.

« C’est faux et trop réducteur », rétorque Philippe Lecompte. Une preuve ? « Dans les années 1990 années 2000 , l’interdiction des pesticides gaucho puis du régent n’a pas enrayé la chute globale de production ni la mortalité des abeilles », dit-il. « D’autres facteurs sont en cause à commencer par les parasites des essaims d’abeilles comme le varroa apparu dans les années 1980, le champignon nosema ceranae, en 1995 et dernièrement le frelon asiatique. Les deux premiers parasites font exploser les pathologies virales qui affectent le système nerveux si leur défense immunitaire n’arrive pas à endiguer ces agents pathogènes. Sur ce point précis la présence de ressources florales est fondamentale ; elle manque cruellement aujourd’hui », explique-t-il. Les effets du réchauffement climatique qui perturbe la floraison des fleurs mellifères, la modification du paysage rural français avec la disparition, notamment des lisières sauvages du bord des bois ou des chemins, le manque de jachères sont autant de handicaps.

Les importations de miel chinois en cause

Si la production de miel français est sous pression, l’appétit des Français pour ce « nectar des Dieux » ne faiblit pas. Dans l’Hexagone, la demande augmente régulièrement. Bon an mal an, les français en consomment 40.000 tonnes. « Pour faire face à cette demande, les importations ont augmenté pour atteindre plus de 30.000 tonnes, principalement en provenance d’Asie, non sans que cela ne soulève des questions sur la qualité du miel proposé sur les rayons des supermarchés », observe Henri Clément.

Selon les statistiques de la Direction nationale des statistiques du commerce extérieur pour l’année 2015, la France a importé près de 33.000 tonnes de miel. Près des deux tiers des volumes venaient de l’Europe suivie par l’Asie (23%) puis les Amériques (13%). Les prix à l’import , en moyenne, varient de 1,60 euro le kilo s’il vient de Chine à 2 euros (Ukraine) ou 2,5 euros (Argentine), selon la Commission européenne. Difficile de concourir alors qu’en France le coût est 2 à 3 fois plus élevé.

Premier fournisseur de la France ? La Chine avec 7.200 tonnes suivies par l’Espagne (6.000), l’Ukraine (3.300) et l’Allemagne (2840). Au regard de l’évolution du marché mondial, le fait que la Chine soit devenue en une décennie le premier producteur mondial de miel devant l’Union européenne, en deuxième place, suscite des soupçons. Norberto Garcia observe, que depuis 2007, les exportations de miel de Chine ont quasiment doublé, passant de 64.000 tonnes à 144.000. Or, parallèlement, le nombre de ruches n’a progressé que de 13 %. Etonnant !

Les apiculteurs de l’est en colère

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« Nous savons que des miels chinois sont reconstitués artificiellement, à partir de sirops de maïs ou de riz et enrichis avec des pollens. Cette production est suffisamment élaborée pour que les analyses de routine ne puissent pas détecter la fraude », indique Henri Clément. « A première vue, seul un maximum de 15 % du miel chinois correspond à notre définition du miel », déclarait en janvier dernier Etienne Bruneau, responsable de la commission qualité au sein d’Apimondia, la fédération des syndicats d’apiculteurs dans le monde, au quotidien écologique Reporterre.

La mondialisation s’amplifie

Autre constat pour le moins curieux chez les apiculteurs, « les producteurs espagnols, grands concurrents des français ont réussi l’an passé à exporter 30.000 tonnes de miel tout en ne produisant que 16.000 tonnes. L’Espagne importe du miel à bas coût, le reconditionne et le mélange pour le réexporter, notamment en France », complète Gilles Lanio, président de l’UNAF. Une pratique qui n’a rien de répréhensible à l’heure de la mondialisation du marché du miel si des aigrefins espagnols et français ne trichaient pas. L’Espagne n’est pas seule en cause.

L’étude réalisée en 2015 par Proteis, à la demande du ministère de l’Agriculture français, relevait que « les origines géographiques des importations françaises ne permettent pas de déduire précisément l’origine des miels présents sur le marché français, étant donné l’importante activité de réexpédition des négociants européens, et notamment des plate-formes situées en Espagne, Belgique, Allemagne et plus récemment en Pologne. Ainsi, l’origine chinoise est probablement sous estimée », en France. Le plus grand flou règne et le miel importé d’Ukraine, d’Espagne ou d’ailleurs pourrait bien provenir de Chine. Car la réglementation européenne du marché du miel est assez lâche.

Bruxelles impose certes d’indiquer sur les pots de miel « le pays ou les pays d’origine où le miel a été récolté ». Mais, plus loin, la directive de 2001 indique que « si le miel est originaire de plus d’un État membre ou de plus d’un pays tiers, cette indication peut être remplacée par l’une des indications suivantes, selon le cas : mélange de miels originaires de la Communauté Européenne (CE) ; mélange de miels non originaires de la CE» ; mélange de miels originaires et non originaires de la CE ». Un texte qui laisse une marge de manoeuvre plus que confortable aux escrocs. Qui peut empêcher d’effectuer un mélange de soi disant miel d’importation chinoise à bas coût avec du miel local afin d’abaisser son coût de revient ? Les possibilités sont sans limite.

Une réglementation européenne trop floue

L’étude de Proteis de 2015 a ainsi révélé que le miel vendu en direct en France (vente sur les marchés de province ou de Paris, sur place et dans des magasins spécialisé) provenait en grande partie des importations. « L’information principale, la fraude à l’origine dans la vente directe de miel, a été soigneusement dissimulée », s’insurge Joël Schiro. La vente directe des apiculteurs français s’est élevée à près de 5000 tonnes en 2014 alors que près de 10.000 tonnes ont été vendues au total sur le marché français par ce canal. « Donc, 47 % des miels proposés aux consommateurs français en vente directe seraient de la fraude à l’importation. Il n’est pas étonnant que les véritables apiculteurs ne puissent plus vendre leur propre récolte », dénonce-t-il.

Même l’entreprise Michaud, numéro un du secteur, est montrée du doigt. Certains l’accusent de ne pas suffisamment soutenir l’apiculture française. Vincent Michaud achète pourtant 20 % de la production française. Avec rigueur. « Sur les miels que nous ont proposés les apiculteurs français, nous en avons rejeté 30 % qui n’était pas conformes aux critères de qualité définis par l’Union européenne. Cela est parfois monté à 50 % », indique-t-il. Vincent Michaud a fort bien compris les avantages de la mondialisation et ne s’en cache pas. « Nous achetons du miel d’Ukraine, d’Argentine, de Bulgarie notamment pour élaborer nos propres miels. Quand le prix de revient du miel de tournesol est à 5 euros en France alors qu’il n’est que de 3 euros en Espagne et 2 euros en Ukraine, l’intérêt des consommateurs français est le miel d’importation », analyse-t-il.

Pour lui, ce n’est pas les importations de miel qui posent problème . « Le véritable problème est que le marché du miel est peu contrôlé. C’est pourquoi nous nous sommes dotés d’un laboratoire ultra-performant d’analyse faisant appel à la résonance magnétique nucléaire (RMN). Aucun faux miel ne lui résiste », explique-t-il. De là viendra sans doute la résolution de la fraude. Norberto Garcia observe que cette nouvelle technologie RMN que les laboratoires européens développent a déjà commencé à produire des résultats. C’est d’ailleurs ce qui se prépare au niveau européen où les contrôles des laboratoires par l’utilisation de cette technique RMN vont être renforcés prochainement. Il sera plus difficile d’importer du faux miel ou de l’adultérer. Mais le combat ne s’arrête pas là.

Une profession mal organisée

Pour nombre d’organisations syndicales, en particulier l’UNAF, il importe de réformer la réglementation européenne et de renforcer l’information du consommateur. « Il faut Imposer un étiquetage indiquant la totalité des pays de provenance », demande Gilles Lanio. Reste que la profession avance en ordre dispersé.

« La filière française paye aujourd’hui l’absence d’une véritable interprofession telle que celle qu’a pu mettre en place la filière champagne », regrette Philippe Lecompte. Aujourd’hui les querelles de clocher l’emportent et personne n’est d’accord. Pas moins de sept syndicats se disent représentatifs de la profession. « la filière fonctionne depuis toujours sans la moindre colonne vertébrale », juge Joël Schiro. C’est aussi l’espoir de Vincent Michaud que de mettre sur pied une véritable interprofession, regrettant au passage deux ans d’effort en ce sens réduit à néant par l’absence de consensus parmi tous les acteurs de la profession. C’était pourtant une des préconisations du rapport Saddier sorti en 2008 _ que Joël Schiro défend ardemment _ en même temps que la mise en place d’un institut technique scientifique de l’abeille et la définition d’un statut d’apiculteur.

Le gouvernement Macron va-t-il reprendre le flambeau ? C’est ce que souhaitent les acteurs du marché. Sinon, l’apiculture française risque de souffrir encore un peu plus longtemps. Et l’amateur de miel français d’acheter des produits aux origines de moins en moins claires.

Source : Les Echos @RHIAULT

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