La cire d’abeille est utilisée depuis au moins 10 000 ans

La production de miel atteint son plus bas niveau historique

Des traces de cire d’abeilles sur des tessons de poterie suggèrent que l’apiculture était déjà maîtrisée au début du Néolithique, il y a quelque 9 000 ans.

Quiconque viendra dans le futur et demandera aux anciens de la ville entendra de leurs bouches : « Voici les bâtiments de Shamash-resh-ușur, le gouverneur de Suhu, qui introduisit les abeilles dans ce pays ».

Inscrite sur une stèle, cette phrase atteste que l’apiculture était déjà présente en Mésopotamie il y a quelque 2 700 ans. Comment en douter, après la découverte sur le site de Tel Rehov, dans le nord d’Israël, des traces d’une centaine de ruches datant d’environ 3000 ans ? Mais à quand remonte cette relation entre les hommes et les abeilles et dans quelle mesure était-elle répandue ? Pour essayer d’en savoir plus, Mélanie Roffet-Salque, de l’Université de Bristol, a d’une part synthétisé les données acquises pendant 20 ans par l’équipe de Richard Evershed (Université de Bristol) et de Martine Regert (Université Nice Sophia Antipolis) ; et d’autre part coordonné le travail de 65 chercheurs, qui ont collecté et analysé des poteries néolithiques pour y détecter la signature chimique de la cire d’abeille.

La cire est un ester d’alcools et d’acides gras. Lorsqu’elle est fraiche, elle est constituée d’un mélange complexe de composés aliphatiques (des chaînes carbonées dans la plupart des cas). Parmi eux des n-alcanes, dont les chaînes carbonées comprennent de 23 à 31 atomes de carbones (le composé majoritaire en ayant 27), des acides n-alcanoïques contenant de 20 à 36 atomes de carbones et des monoesters et monoesters hydroxylés en contenant respectivement de 38 à 52 et de 40 à 54. Ce mélange de composés constitue une signature chimique caractéristique qui permet de reconnaître de façon certaine la présence de cire d’abeille, par exemple dans les pores de poteries en argile. Les chercheurs ont ainsi réduit en poudre des échantillons, d’environ 2 grammes chacun, de 6 400 tessons issus de divers pays du pourtour méditerranéen et de l’Europe, pour les analyser par chromatographie en phase gazeuse et par spectrométrie de masse. Dans la plupart des cas, des graisses animales ont été détectées, ce qui avait notamment permis à Mélanie Salque-Rovet et Richard Evershed de reconstituer les débuts de la production laitière pendant le Néolithique européen (à partir d’environ 7 000 ans avant notre ère).

Toutefois, dans un peu plus de 80 tessons, c’est de la cire d’abeille qui a été détectée. Cela prouve qu’elle était employée par les hommes du Néolithique ou que ces derniers ont stocké du miel encore mêlé de cire dans ces poteries. Hélas, le miel ne peut pas être détecté directement, car il est composé à 80% de sucres, qui ne résistent pas à un enfouissement de plusieurs millénaires !

Quelles sont les cultures néolithiques concernées ? La plus vieille trace de cire d’abeille dans une poterie provient du néolithique anatolien : les chercheurs ont identifié deux résidus de cire d’abeille sur des tessons du VIIe millénaire avant notre ère provenant du site de Çayönü Tepesi, en Turquie. Un autre résidu de cire d’abeille du même âge provient du célèbre site de Çatal Höyük, ancien village prénéolithique puis néolithique, où son découvreur, l’archéologue James Mellaart, dit avoir trouvé un motif mural en nid d’abeille dans les années 1960. Des chercheurs ont également trouvé des résidus de cire d’abeille dans des tessons du VIe millénaire provenant des sites d’Anatolie du Nord Ouest de Aşağı Pınar et de Toptepe, ce qui suggère un long usage de la cire d’abeille en Anatolie au début du Néolithique.

Plus près de nous, c’est la péninsule balkanique qui a livré le plus de témoignages de l’usage de la cire d’abeille. Les chercheurs ont identifié des résidus de cire dans des bols, des récipients de cuisson et des passoires sur les sites néolithiques tardifs de Paliambela (4900 – 4500 avant notre ère, Grèce), Măgura (5500 – 5200 avant notre ère, Roumanie), Drenovac, Turska Cesma (5300 – 4600 avant notre ère, Serbie), ainsi que dans des tessons de l’Attique, du Péloponnèse et des Cyclades (5800 – 3000 avant notre ère). Le très grand nombre de tessons portant des résidus de cire trouvés dans les Balkans suggère qu’au Ve millénaire, la cire d’abeille (et le miel) y étaut d’un usage domestique fréquent depuis des milliers d’années déjà, ce qui montre que les paysans de la vague de néolithisation méditéranéenne employaient la cire d’abeille.

Il en était de même pour le courant danubien de néolithisation, puisque les chercheurs ont pu aussi révéler l’usage domestique de la cire d’abeille en Europe centrale. En effet, des tessons provenant de la culture du Rubané portant des résidus de cire ont été identifiés sur les sites de Brunn am Gebirge (5360 – 5220 avant notre ère, Autriche) et de Niederhummel (5360 – 5220 avant notre ère, Allemagne). De même pour le Rubané tardif (fin du VIe millénaire avant notre ère) de Pologne, sur les sites de Ludwinowo et de Wolica Nowa.

Parvenus sur le territoire actuel de la France, les vagues de néolithisation danubienne et méditerranéenne ont fusionné pour donner la culture chasséenne (4 200 et 3 500 avant notre ère). Les paysans du Chasséen aussi utilisaient la cire, puisque les chercheurs en ont identifié des résidus provenant des sites de la seconde moitié du Ve millénaire avant notre ère de de Font-Juvénal, Chassey-le-Camp et Bercy, et du IVe millénaire avant notre ère de Clairvaux-les-Lacs (3900 à 3700 avant notre ère), de Chalain 3 (3200 à 3100 avant notre ère) et 4 (3040 à 2990 avant notre ère). De très nombreux tessons portant des traces de cire ont aussi été identifiés sur les sites slovènes du Ve millénaire avant notre ère de Ajdovska jama et de Moverna vas. Pour le moment, la limite nordique de l’exploitation de la cire d’abeille est le Danemark, puisque deux résidus y ont été identifiés dans des contextes du Mésolithique final (jusque vers 5 000 avant notre ère dans certaines régions d’Europe) et du Néolithique.

Le Néolithique du sud de l’Angleterre aussi a livré sept résidus de cire sur des tessons, mais, curieusement, l’analyse de 1 200 tessons provenant d’Irlande, d’Écosse et de Fennoscandie (Scandinavie plus Finlande) n’a rien révélé. La limite septentrionale de l’aire de répartition naturelle des abeilles à cette époque est en quelque sorte esquissée. À l’inverse, l’analyse de 130 tessons provenant de la péninsule ibérique, n’a mis en évidence aucun résidu de cire. Est-ce à dire que son usage y était inconnu ? C’est peu probable, et l’analyse d’autres tessons de poterie permettra sans doute de détecter l’exploitation des abeilles dans ces régions. Les chercheurs ont pu aussi révéler que les paysans du site néolithique algérien de Gueldaman, au Ve millénaire avant notre ère, utilisaient les produits de la ruche – une première en Afrique du Nord.

Que conclure de toutes ces observations ? Pour commencer, insistons sur le fait que la présence et l’usage de cire d’abeille n’implique pas l’apiculture. Tout indique que les chasseurs paléolithiques pratiquaient déjà la chasse au miel il y a plus de 10 000 ans. Une représentation vieille de 8 000 ans de cette activité a été retrouvée dans la grotte de l’Araignée, non loin de Valence ; du reste, nombre de peuples aborigènes continuent à pratiquer cette chasse aujourd’hui. Néanmoins, les très nombreuses traces de l’usage des produits de la ruche dans le courant de néolithisation méditerranéen et dans le courant danubien laisse quand même penser que l’apiculture est ancienne.

En effet, même s’il existe a 20 000 espèces d’abeilles sauvages répertoriées, dont 1000 en France, l’exploitation des ruches sauvages est difficile (elle se fait en hauteur, sur un arbre ou une falaise), épisodique, et endommage souvent la ruche (sauf à aménager la répartition et la forme des ruches sauvages pour faciliter leur exploitation, ce qui se pratiquait au Moyen-Âge en Allemagne, par exemple). De nos jours, l’appropriation d’essaims sauvages d’abeilles mellifères domestiques (Apis mellifera) se pratique couramment. Tous ces indices, ajoutés à la présence fréquente de traces de cire sur les tessons néolithiques, suggèrent que les paysans néolithiques héritiers du savoir-faire des chasseurs de miel, ont peut-être très tôt su s’emparer de ruches sauvages et les installer près de leurs habitations, bref « domestiquer » un essaim sauvage. D’après la fréquence des traces de cire dans l’Europe néolithique du VIe et du Ve siècle, parions que c’était déjà le cas au VIIIe millénaire au Proche-Orient.

Source : PourLaScience